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Interview de Philippe CLERC, Directeur Compliance et Ethique du CNES

Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire comment êtes-vous arrivé en Compliance ?

 

J’ai débuté ma carrière comme expert et responsable juridique dans le spatial tel que pour ArianEspace, des opérateurs privés de lancement, les ministères de l’espace et de la recherche, le CNES…

J’étais impliqué dans la création de lois de 1999 à 2008. Après 10 ans de service, un essoufflement s’est fait sentir et l’atteinte des objectifs réussie, j’ai choisi la compliance en 2018. Aussi, ai-je poursuivi au CNES sur la loi Sapin 2 conjuguée à d’autres régimes législatifs qu’encadre l’intégrité de la recherche scientifique et de l’expert professionnel.

 

J’ai été nommé « chargé de mission » du groupe de travail responsable d’auditer l’existant en conformité, tout en opérant des comparaisons avec d’autres organismes publics pour mettre en place des dispositifs de conformité propres au CNES.

 

 

Tous nos lecteurs ne connaissent peut-être pas CNES (Centre National d’Etudes Spatiales), pouvez-vous expliquer son cœur de métier ?

 

Le CNES est un établissement public à caractère industriel et commercial français créé en1961, de droit privé (pas de fonctionnaire) dédié à l’espace au même titre que la NASA.

Le CNES peut créer des filiales pour des programmes spatiaux, vend des services, fait de la recherche, émet des avis techniques au ministère sur un système privé,…

 

Sa mission est de développer des systèmes spatiaux du futur, avec des prototypes, en tant qu’instruments juridiques.

Le prototype est tellement cher qu’il doit fonctionner du 1er coup (1 lancement = 150 millions d’€).

Tout doit être prévisible dans la gestion des risques.

L’intégrité humaine technique doit y être très forte.



Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs, quel est le rôle de la compliance dans votre entreprise ? 

 

Le CNES évolue dans un cadre de « copétition » : coopération et compétition.

Rien n’est fait uniquement à l’international.

👉 Exemple pour la course à la Lune, les retombées scientifiques bénéficient à tous, dans le cadre d’une compétition aménagée.

 

Il est question de recherche, de coconstruction de partenariat, de propriété intellectuelle, de gros enjeux quant aux ressources lunaires… dans cette compétition, la question du traitement de la corruption s’impose.

👉 Exemple des actionnaires d’ArianEspace, fournisseurs, qui s’entendaient afin de ne pas générer de bénéfices

👉 Exemple d’Elon Musk qui a cassé les prix des lancements avec le récupérable

 

Les relations avec la vie privée-vie publique sont très ténues. Nous sommes obligés de coopérer pour bénéficier des communs.

Les relations avec les décideurs publics sont très fortes et risquent une forte influence.

Les relations avec les décideurs publics figurent dans la cartographie des risques au titre du favoritisme ou de la dépendance économique.

👉 Exemple de risques : les activités en Guyane ont un impact économique de 25% ou encore, en cas d’explosion du lanceur, la zone est évacuée pour limiter les effets négatifs sur X km pour préserver la population.

 

De fait, que redoutons-nous ? la cartographie des risques et les mesures en réduction de risques…

 

Dans le spatial, la logique est la même que pour la cartographie Sapin 2.

 

La philosophie de la cartographie est découpée en 5 grands rubriques :

  1. Antichambre des manquements à l’intégrité : conflits d’intérêts ou cadeaux & invitations (pas de délit mais vigilance appuyée)
  2. Bloc Sapin 2 : tous les manquements redoutés et associés, corruption passive/active, prise illégale d’intérêts, trafic d’influence, détournements de fonds, favoritisme, octroi d’avantages injustifiés (👉 Exemple de la Défense Nationale)
  3. Délit pénal associé : abus de bien social, atteinte au secret, droit de la concurrence, subvention, abus de position dominante…
  4. Intégrité de la recherche scientifique et technique : règles de la profession, code de la recherche, sanction publique médiatique 👉 la confiance du gouvernement, valeur ajoutée reconnue, favorise la coopération
  5. Devoir de vigilance, éthique des missions spatiales, pour lesquels nous proposons et mettons en œuvre les missions d’intérêt général : découverte, vie dans l’espace, virus, jusqu’où val’Homme augmenté, quid des données, Big Brother, circulation dans l’Espace, création d’un état virtuel pour s’abstraire du droit terrien 👉 Asgardia The Space Nation.

 

Aussi avons-nous identifié les situations les plus à risques et concrètes :

  • les achats hors procédures
  • les ventes avec les offres d’avantages concurrentiels,
  • la contractualisation,
  • les partenariats publics/privés,
  • les mobilités de personnels (statut privé avec des missions de service public),
  • les relations avec les décideurs publics 👉 Exemple pour un projet avec la Guyane impliquant le département, des parlementaires, des élus, les visites officielles…,
  • les inventions des salariés avec propriété dévolue à l’employeur, essaimage(création de start-up encadrée par la loi, par les ingénieurs du CNES, recherche exploitable dans le privé/innovation).

 

Face à ces nombreux risques identifiés, il y a deux solutions de traitements :

 

1. code de conduite et déclaration de non intérêt

2. pour le collectif ou personne morale, par procédures spécifiques : charte de l’expertise, dispositif de suivi des filiales, par le comité interne et déontologique

 

    Ce comité gère les alertes et la création de doctrine sur la base de décision collégiale, pour créer une jurisprudence et modifier les procédures existantes.

    A chaque risque identifié, avec une décision du comité, est créée ou modifiée la réglementation en corrélation.

 

  

Comment appréhendez-vous la compliance au CNES ? 

 

La compliance est traitée sous l’angle de la loi Sapin 2 et les régimes législatifs encadrant l’intégrité des missions spatiales futures et l’intégrité de l’expert professionnel (scientifique et technique).

 

 

Pouvez-vous nous en dire plus sur vos relations avec les régulateurs ? 

 

Nos principaux régulateurs sont :

 

🖊 Autorités administratives de tutelle :

  1. ministère de l’économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique
  2. ministère des armées
  3. ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche

 

🖊 Autorités administratives indépendantes:

  1. Le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres)
  2. L’Agence française anticorruption (AFA)
  3. L’Inspection des finances
  4. La Cour des comptes

 

 

Combien de personnes composent l’équipe Compliance et comment organisez-vous la charge de travail ?

 

Je suis seul mais j’anime et pilote toutes les organisations avec le soutien d’une dizaine de référents. Je les irrigue, les contrôle, chaque direction ayant un correspondant chargé des risques identifiés.

J’agis en collaboration avec le service juridique central et le service juridique des RH.

 

 

Quel type de profils trouve-t-on dans votre équipe ?

 

L’équipe de référents généralement des N-1, est composée de sachants expérimentés, en mesure d’asseoir leur autorité morale, leur responsabilité et d’offrir leur expertise.

 

 

Comment sensibilisez- vous au sein de votre entreprise les collaborateurs aux enjeux de la compliance ? 

 

Globalement, les collaborateurs ont des formations obligatoires.

Les collaborateurs identifiés à risques représentent environ 25% de l’effectif.

Les formations sont en présentiel dispensées exclusivement par moi-même pour assurer un traitement personnalisé.

L’apprentissage en interne avec les ingénieurs de la qualité est majeur.

La formation est le cœur de ma fonction.

La sensibilisation au travers des petits-déjeuners, des vidéos, des jeux, le portail interne, la communication sont autant d’outils que nous exploitons.

 

 

En tant que manager, gardez-vous un rôle également opérationnel au sein de votre équipe ? 

 

Il est majeur de conserver le contact avec nos collaborateurs, exposés ou non.

Je gère les mesures associées aux déclarations d’intérêts et le secrétariat du comité interne de déontologie en tant que juge.

👉 Exemple : sur 500 personnes déclarantes,50 cas sensibles induisant des sanctions privatives de droit

 

 

Qu'est-ce qui vous plaît le plus dans votre métier ? 

 

Le côté constructeur, la création impliquant la réflexion, concevoir le dispositif et sa mise en œuvre, mais cela s’épuise.

Les enquêtes internes, qui à partir d’un manquement ou d’une faute possible, des solutions gagnant/gagnant sont trouvées ce qui permet d’apprendre et de comprendre ce qui a péché, de sortir par le haut et d’en tirer un bénéfice.

 

 

La question inévitable du moment : quels ont été les impacts du covid sur votre activité ? 

Comme tout le monde, pas plus que les autres.

La formation au sein du CNES a été ralentie.

 

 

Le Brexit a t-il eu des impacts sur votre activité ? 

Non aucun,

 

 

Le code de la compliance est paru chez Dalloz ; qu'en pensez-vous ? 

Il a le grand mérite d’exister, je le consulte et c’est très bien.

 

 

Quels sont les prochains enjeux compliance pour vous ? 

La consolidation de notre dispositif de conformité est le prochain enjeu !

Auquel s’ajoute le dernier pilier avec la mise en place du comité éthique des missions spatiales du CNES pour réfléchir à des projets prélégislatifs (données spatiales, services en orbite, logistique entre satellites…) économie spatiale en développement.

 

 

Vous êtes à la fois directeur de la conformité et de l’éthique ; est-ce que cela change quelque chose dans votre approche de la compliance ?  

La conformité induit la rigueur qui structure l’éthique. Il y a un bâton, une norme, on doit la respecter pour être le plus conforme possible selon ce qui est fixé en interne ou en externe.

 

L’éthique correspond plus au verre à moitié plein.

On est dans le qualitatif, le bien-faire… le gendarme et celui qui donne le bon point.

 

Au départ, c’était perturbant car j’étais plus à l’aise en conformité, alors que maintenant, je développe de plus en plus le second.

Suis-je dans la conformité ou dans l’éthique, le lien est étique !

Dans le cadre de signalement, l’éthique aide à la solution ; on peut transiger en droit mais pas en pénal.

 

 

De fait, ne faudra-t-il pas à terme, séparer la conformité et l’éthique comme cela se fait de plus en plus?  

Non car si on veut faire de la bonne sensibilisation, cela ne prendra pas.

C’est utile et cohérent d’avoir les deux fonctions, sachant que l’éthique tire la compliance.

 

 

Comment assurez-vous votre veille réglementaire sur la compliance ?

Sur la base d’alertes, de newsletters, de presse spécialisée et dans le prolongement de l’investissement du réseau des professionnels privés/publics.

 

 

Pour finir, quelle est votre définition de la compliance ? 

D’avoir un dispositif organisé dans l’intérêt de l’entreprise et des personnes, de tirer l’entreprise par le haut pour prévenir les manquements à la probité afin d’être conforme aux règles qu’on s’impose ou qui sont imposées

 

https://cnes.fr/fr

Interview réalisée par Virginie GASTINE MENOU

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